Notes

Mathieu Herondart. Groupe 10.

 

Les défis de la sécurité privée. L’Harmattan. 1997.

Frédéric Ocqueteau.

363.289.OCQ

 

Il s’agit d’une fiche relativement littérale au risque d’être lassante par sa longueur. Je m’en excuse donc auprès du comité de vigilance du voisinage…

 

Introduction (p.9)

 

1990. Le montant des dépenses privées pour se protéger dépasse les dépenses publiques de prévention et de répression de la délinquance.

1700 entreprises de gardiennage recensées et 270 entreprises de télésurveillance.

Cette émergence indique une redéfinition de la place de l’Etat dans la régulation des dysfonctionnements de la société. L’objectif de prévention des manifestations d’insécurité réapparaît depuis fin des 30 glorieuses. Or l’Etat, du fait de ses difficultés financières, se pose comme un animateur plus que comme un entrepreneur. La sécurité devient donc une valeur à co-produire (la sécurité, c’est l’affaire de tous). Les citoyens sont invités à mieux protéger leur habitat, sous la pression des assurances. Les entreprises doivent également concourir (centres commerciaux, transports publics). Parallèlement, les prestataires de service ont réussi à conquérir une légitimité quasi-complète.

La sécurité privée est difficile à cerner car on confond l’organe et la fonction. L’auteur s’attache donc à clarifier le concept (ch.1). Il décrit ensuite l’histoire et le paysage du secteur (ch.2-3). Il montre les étapes de légitimation de la sécurité privée par l’action de la régulation des pouvoirs publics (ch.4).

L’émergence de la sécurité privée pose différents problèmes inédits à la démocratie et à l’Europe : la crainte classique de l’opposition sécurité – liberté ; le devenir des missions de la police administrative.

 

La sécurité privée, un objet d’étude à construire (p.17)

 

Le secteur de la sécurité privée ne peut être expliqué par un des deux paradigmes dominants de la régulation de l’ordre :

-         paradigme néo-libéral : sécurité est un bien à péage acheté par des agents qui calculent les coûts et les bénéfices de sécurité parce qu’ils ne le trouvent pas gratuitement ailleurs ;

-         paradigme foucaldien : extension du contrôle social par la voie de la privatisation.

 

Les premières théories apparaissent en Amérique du nord dans les années 60-70. Le rapport de la Rand Corporation (Kakalik, Wildhorn, 1971) émet la théorie du partenaire junior : les forces de sécurité privée servent d’appoint à des forces publiques moins efficaces du fait des restrictions budgétaires. La sécurité privée fait donc partie du système pénal au sens large et apparaît complémentaire de la police publique.

Le rapport Hallcrest I (Cunningham, Taylor, 1985) met l’accent sur deux grands facteurs de différenciation entre sécurité privée et police publique : la relation clientéliste et la recherche du profit. L’efficacité du secteur privé ne peut donc être comparée à celle de la police publique. Le secteur privé offre une option supplémentaire pour la protection. L’essentiel est donc de mobiliser les deux ressources le plus efficacement possible. Ce raisonnement sera tiré jusqu’au bout par les économistes ultra-libéraux (Fixler, Poole, 1988) : rien n’interdit une privatisation totale des services de police.

 

Des théoriciens néo-marxistes (Spitzer et Scull, 1977) montrent le rôle historique des polices privées dans la formation de la société capitaliste. Cette lecture a le mérite de montrer la fluctuation des notions d’ordre public et d’ordre privé. Rien ne prouve que le monopole de la contrainte légitime (Weber, 1971) soit remis en cause mais les finalités peuvent être recomposées (Monjardet, 1996).

Shearing et Stenning (1982, 1983) se sont inspirés des théories de disciplinarisation sociale de Foucault dans surveiller et punir. L’apparition de lieux privés de masse a dénaturé les notions de lieu public et de lieu privé qui fondaient la légitimité de la police publique (elle maîtrise tout l’espace public mais n’intervient dans l’espace privé que sur demande du propriétaire). Les nouvelles polices privées dans des lieux privés de masse ne se limitent pas à empêcher une intrusion indésirable mais elles sont des polices d’inspection et de prévention des pertes. Elles se distinguent des polices publiques qui ont plus recours à la coercition et elles ont mandat orienté vers la défense des intérêts de la victime organisée (exemple du contrôle social chez Disney (1987)).

 

Ces analyses connaissent un certain nombre d’omissions :

-         les technologies de protection tendent à se substituer aux ressources humaines

-         les polices publiques ne désertent pas les lieux intermédiaires (police de proximité) du fait de l’enjeu politique et symbolique (tentations d’autodéfense, refus de faire appel aux ressources du marché avec constitution de vigilants)

 

Les mécanismes du marché de la sécurité dépend également du comportement des agences pénales qui doivent se repositionner.

Le diagnostic fondé sur le sentiment des victimes conclut à l’essoufflement des agences pénales. Celles-ci ont réussi historiquement à s’annexer la régulation des désordres communautaires (augmentation des effectifs et suprématie technique). Mais la police publique ne peut plus répondre à l’augmentation des demandes de protection de la propriété. L’appel au marché privé répond donc à une défaillance. Il s’agirait de prévention situationnelle : durcissement des cibles vulnérables afin de prévenir le passage à l’acte du délinquant. Les effets positifs de la prévention situationnelle n’ont pas été démontré jusqu’à présent.

Il existe néanmoins des liens entre sécurité privée et police publique. Il existe des réseaux de connaissance (old boys network). Des policiers travaillent pour des agences de sécurité privée (phénomène de moonlightning aux Etats-Unis). Il y a aussi des fonctionnaires détachés ou mis à disposition, ce qui peut créer des échanges.

 

L’auteur écarte de sa définition les phénomènes d’autodéfense des citoyens qui n’ont pas grand chose à voir avec l’institutionnalisation du secteur. Il s’attache plutôt à déterminer comment le secteur marchand a réussi à légitimer sa présence au sein d’un Etat doté d’une tradition de police publique fortement centralisée. La sécurité privée fonctionne sur le mode du contrat de service dans le domaine des procédures de gestion des risques, ce qui englobe l’industrie des équipements de sécurité et les prestations humaines. La sécurité privée est un secteur qui comprend enquête, détection, protection et dissuasion afin de prévenir des risques de perte ou d’atteinte à l’intégrité physique. C’est un secteur semi-autonome qui obéit aux mécanismes de marché mais a des incidences sur la gestion de l’ordre dans la société en général.

 

Eléments d’histoire passée et présente (p.43)

 

Il y a eu peu d’études sur la sécurité privée en France.

1ère moitié du XIX siècle : défense de la propriété privée est constituée par les domestiques.

2nde moitié XIX: création de groupes de vigiles afin de sécuriser les quartiers et de polices internes dans les grands magasins (au bonheur des dames, Zola). Une loi de 1892 crée le statut de garde particulier de la propriété assermenté en justice (actuel art 29 du code pénal). Mais à la différence des pays nordiques ou de l’Allemagne, il n’y a pas de réelle institutionnalisation du secteur. Il se crée des sociétés de gardes privées à Paris entre 1907 et 1913 recrutées par les services de la préfecture mais payées par les habitants des îlots inspectés. En 1926, se crée sous les auspices du préfet de Paris la Société Parisienne de Surveillance (actuelle Société de Protection et de Sécurité).

 

Les agences de détectives sont proliférantes dans les années 20 (plus de 60 à Paris dont l’Office général des recherches qui existe encore aujourd’hui fondé par le chef de la sûreté à sa retraite en 1896). Elles sont attaquées par la police publique et une loi de 1922 tente de finaliser les règles du jeu. Le régime de Vichy sera amené à réglementer les modalités d’exercice dans l’acte dit loi du 28 septembre 1942 : l’autorisation personnelle du ministre de l’Intérieur est nécessaire. La loi du 23 décembre 1980 reprend le dispositif d’agrément en le soumettant au préfet. Le contrôle des fonctions a dérivé vers une organisation du pantouflage des fonctionnaires de police qui n’a jamais été soumis à la discussion publique. Il existe des éléments chiffrés sur le pantouflage à la DLP à l’Intérieur.

 

Il y a également eu des polices d’usine à partir des années 30 (avant, la troupe réglait les problèmes de maintien de l’ordre et il existait des pratiques de mouchardage en interne).

 

Il existe des exemples historiques d’utilisation des sociétés privées offrant leurs services à des commanditaires. En 1934, le préfet Chiappe a tenté de mettre en place une organisation de type milicienne afin de suppléer la police en cas d’affrontements contre l’extrême gauche. La loi du 10 janvier 1936 vise directement ces milices privées. Elle restreint la liberté d’association de la loi 1901 en inventant le délit de reconstitution de ligue dissoute qui vise à conjurer les périls que font courir des groupements de fait ayant pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement.

On voit néanmoins se créer de nouvelles sociétés dès 1939 qui collaboreront avec l’occupant comme la ronde de nuit. Epurées à la libération, elles renaîtront sous d’autres raisons sociales. La Hollande et la Belgique mettront en place des lois contre les risques d’agitation d’extrême droite. Les lois de 1934 et 1936 dans ces pays régiront les sociétés de gardiennage sous biais de dérogations. Elles seront supprimées en 1990.

Les années 70 voient apparaître à nouveau des dénonciations des sociétés privées : mort d’un militant mao, Gilles Overney, chez Renault à Boulogne-Billancourt, meurtre d’un clochard au Forum des Halles en 1981, bouclage d’une ville par une société de gardiennage afin de débloquer une grève. Une commission sénatoriale enquête en 1982 sur les activités du Service d’Action Civique montre les proximités avec le parti gaulliste (à rapprocher avec la commission sur le département protection et sécurité du FN).

 

2 séries d’indicateurs fournissent des informations sur les populations concernées :

-         enquêtes INSEE : septième sous-catégorie de la branche des salariés de la police et de l’armée. Il existe des données pour les recensements de 1982 et 1990 (augmentation des effectifs de 95940 à 105821, la région parisienne en concentre 1/3, ils représentent 27% de la catégorie mère et augmentent plus que la police et la gendarmerie pendant la même période, il existe un ratio d’un agent de sécurité privée pour trois agents publics avec des comparaisons possibles avec d’autres pays européens). A rapprocher avec dernier recensement.

-         recensement des sociétés de surveillance agréées par les préfectures (prévue par une loi de 1983) en 1988 et 1991 (56773 agents travaillant sur le mode du contrat et 11680 agents maison contre  1988 contre 73346 et 15470 en 1991). A rapprocher avec données DLP.

 

2 outils permettent de mesurer les segments d’activité :

-         enquête INSEE depuis 1984 sur les créneaux les plus voyants (surveillance, convoyage, enquêtes, télésurveillance).

-         enquête privée du périodique « en toute sécurité » depuis 1991

Les chiffres donnés par Ocqueteau remontent à 1993. Ils montrent néanmoins que tous les créneaux de la sécurité ne sont pas porteurs. L’ensemble des équipements industriels voient ainsi son chiffre d’affaires baisser en 1992 (serrurerie, équipements blindés et équipements de télésurveillance), de même, les études de marché du risk management et le recul des prestations de gardiennage. Les secteurs en hausse régulière sont les suivants : contrôle d’accès, alarme antivol, lutte contre la démarque inconnue et la sécurité informatique. Deux autres segments stratégiques de la sécurité privée progressent : le transport de fonds (depuis 1992) et la sécurité incendie.

 

Ocqueteau mesure également la demande du marché. Des auteurs ont analysé le coût des dépenses privées et publiques de protection face aux risques de délinquance (Laffargue, Godefroy, 1995). Ils ont calculé en 1991 les dépenses privées : indemnisation d’assurance (25MMF) et achats de moyens de sécurité (17MMF), soit plus des 41MMF de dépenses publiques de répression. Des études de marketing mesurent également la demande de sécurité. Les clients des entreprises de convoyage sont le secteur bancaire, la poste, la grande distribution et quelques autres secteurs à risques. Les clients des entreprises de gardiennage sont plus segmentés. D’après une étude du cabinet Précepta, il s’agit des industries (35%), banques (25%), commerce (20%), administrations et secteur publique (15%) et Défense Nationale (5%) (chiffres de 1990). La demande des ménages existe en revanche pour les équipements (étude Précepta, 1991). Elle représenterait 25% contre 37,5% pour les industriels et 37,5% pour le commerce.

 

Les faiblesses d’un monde qui se structure (p .69)

 

La fonction sécurité est souvent externalisée avec la fonction nettoyage. Il existe donc une relation contractuelle pour ce qui est souvent vu comme une exigence des compagnies d’assurance ou des salariés. La contrepartie est une faible professionnalisation du personnel de sécurité en dépit d’une amélioration de la situation au tournant des années 90. Le monde de la sécurité fonctionne largement en dehors du droit du travail, les missions sont mal finalisées et les litiges en responsabilité sont nombreux.

 

Le patronat de la sécurité a explosé à la suite du départ de l’ancien préfet Vaujour des commandes de la Fédération Française des Organismes de Prévention et de Sécurité (FFOSP). Cet organisme, né en 1977 de la fusion de trois syndicats comptait 100 sociétés (les plus grosses étaient le groupe ACDS et le groupe 1 protection dirigé par Vaujour, issu du rapprochement en 1974 des sociétés parisiennes SPS et vigie parisienne et la filiale anglaise du groupe suédois Sécuritas). Il a été englobé par l’UNISS (Union Nationale des Industries et des Services de Sécurité) qui était dirigée par une nouvelle génération de managers (un certain nombre de sociétés importantes sont également citées : SGI-Unigarde, SPS et Goron SA, Brink’s, leader national du convoyage de fonds). Cette opération s’est faite à la demande du CNPF qui désirait n’avoir affaire qu’à une fédération d’où la naissance de l’UFISS le 26 février 1992 (Union Fédérale des Industries et Services de la Sécurité). Le livre blanc de l’UFISS est publié en septembre 1992 et retient 3 axes d’action pour moraliser la profession :

-         création de seuils de compétence chez les chefs d’entreprise

-         instauration d’obligations minimum dans le fonctionnement des entreprises : collaborateur au siège 24h/24, présence d’un cadre pour la formation, radio dans les véhicules

-         réglementation spécifique dans les ERP : définition d’effectifs minimum, qualification obligatoire, co-responsabilité du client et du prestataire, organisme de contrôle.

 

L’UFISS est membre du conseil permanent du CNPF, est dotée d’un conseil d’administration équilibré entre parisiens et provinciaux et segments (surveillance physique, transport de fonds, télésurveillance). Il s’agit donc d’un syndicalisme organisé par deux entreprises leaders (SPS et SGI-Unigarde) qui se sont alliées contre une troisième (ACDS). Mais les managers n’ont pas entièrement détrônés la vieille garde plus orientées vers une vision conservatrice de la sécurité. La défense utilise ainsi des boîtes de surveillance qui sont souvent des émanation du ministère de la défense, ce qui fausse le marché en créant des rentes de situation. L’UFISS prône la moralisation et le ticket d’adhésion assure un minimum de cohérence. Les exclusions sont néanmoins rares et la cohésion du secteur largement de façade. Il est arrivé qu’une entreprise fasse scission et crée un syndicat en dénonçant le manque de crédibilité de la profession (cas d’un syndicat de télésurveilleurs).

 

La question de la professionnalisation est essentielle dans le marché de la sécurité. Il y a une opposition entre les clients et les prestataires car les clients ne sont pas prêts à payer un prix supérieur pour une main d’œuvre mieux formée. Une enquête [1] a montré que la formation était difficile à intégrer dans les plannings et que les chefs d’entreprise étaient réticents à financer la formation avec la crainte d’une mobilité de leur personnel. La réglementation du travail connaît des faiblesses. Il n’existe plus maintenant de système d’équivalence d’heures (nombre d’heures de présence supérieures aux heures travaillées)[2]. Il existe une grille des niveaux de qualifications[3]. Le minimum est fixé au dessus du SMIC[4] mais il n’est supérieur que de 1% en 1995. Il existe trois types de formation[5] : une formation initiale de 6 à 8 semaines, une formation spécifique en liaison avec le client et une formation continue de 2 à 4 heures par mois. Depuis 1991, peu d’évolutions.

 

La jurisprudence sur les responsabilités de la sécurité privée a été étudiée par Ocqueteau à partir des litiges jugés au second degré (source. Banque de données Juris-data avec mots clés gardiennage, surveillance, alarme et contrat, moyen, résultat).

Dans le gardiennage, il existe une obligation de moyen et cela d’autant plus qu’il existe une norme dans le contrat. Les installateurs d’alarmes et de télésurveillance sont tenus à un devoir de conseil envers leur client sur les particularités du système à mettre en place. Quand il y a des interventions physiques à la clé, le juge est allé vers l’obligation de résultat (C.Cass, civ, 1ère, 8 juin 1994, Sociétés Lynx Alarm Provence et Cépad contre Sociétés le Continent et Somatrim). Les juges interprètent de plus en plus strictement les devoirs des sociétés de télésurveillance par rapport aux forces de police.

 

Les services de police se sont énervés à propos de la multiplication des alarmes intempestives. Une enquête du Service Information Sécurité (visiblement aux alentours de 1988) atteste que 95% des interventions sur site sont injustifiées du fait d’alarmes intempestives. D’où la nécessité d’une réglementation adéquate pour permettre la levée du doute préalable à l’intervention des brigades urbaines. On a écarté le retrait d’agrément des sociétés trop intempestives. Un décret de 1991 a finalement institués 3 principes :

-         les stations centrales ne peuvent plus appeler directement le commissariat ou la gendarmerie en cas d’alarme. Elles doivent appeler un numéro d’appel spécifique et une redevance annuelle est versée ;

-         tout appel injustifié fait l’objet d’une lourde amende. A défaut, le télésurveilleur se voit refuser le numéro d’appel

-         l’administration se donne le droit d’inspecter les stations de télésurveillance

La police a donc repris la maîtrise du rapport télésurveilleur/client au juge. Le télésurveilleur devient dépendant des stratégies policières mais il est renforcé dans sa stratégie commerciale. La police peut améliorer ses performances judiciaires. L’arrêté du 3 novembre 1995 fixant le taux des redevances pour les bénéficiaires d’un numéro de téléphone réservé exerçant des activités de surveillance à distance (JO, 11/11/95, 16615) a fixé les prix suivants : 1500 de redevance annuelle, 13000 francs au premier raccordement exigé, 10000 du 2ème au 10ème raccordement, 6000 francs au-delà et 3000 francs pour l’appel injustifié. Les petits et moyens télésurveilleurs ont craint un ticket d’entrée trop lourd. La régulation consolide la puissance des opérateurs en position dominante.

 

Les activités de sécurité privée légalisées (p.102)

 

Les efforts internes de moralisation de la profession ont été insuffisants et finalement, l’Etat est venu en aide au secteur.

 

La grande loi sur le secteur est celle du 12 juillet 1983. Auparavant, en dépit des actions parfois coupables de certaines sociétés, la réglementation était inexistante (2 décrets sur le port d’armes des agents du convoyage et des circulaires appelant la vigilance des préfets avec quelques règles à rappeler). 3 faits ont amené la loi : la ténacité de Vaujour, le changement de la doctrine d’emploi sur la police à la suite du pré-rapport Bélorgey et 2 faits divers malheureux.

 

Le pré-rapport Bélorgey demandait de considérer la sécurité privée comme des auxiliaires de police et reprenait ainsi la doctrine du partenaire junior. Il suggérait 5 pistes (définir le champs d’intervention des sociétés de gardiennage, créer un service spécial de contrôle au sein du ministère de l’intérieur, revoir les conditions de recrutement des agents et réétudier le système des équivalences. Le rapport Bonnemaison suggère de définir la place des sociétés de gardiennage dans la société et améliorer le recrutement du personnel et leurs conditions de travail. 3 propositions de loi ont été déposées au parlement. La proposition socialiste a été étudiée par les commission des lois (rapport Massot à l’Assemblée Nationale et Bécam au Sénat). Le gouvernement a réuni les trois propositions dans une loi qui fut votée à l’unanimité le 12 juillet 1983. La discussion a principalement porté sur la délimitation du champs du contrôle et de l’intervention de l’administration.

 

Sur l’étude la loi elle-même, je renvoie à la fiche de Bertrand sur la législation applicable. La question des fonctionnaires reconvertis a été très largement débattue lors de la discussion de la loi. Il avait été prévu initialement une demande d’autorisation préalable aux ministres de la défense ou de l’intérieur comme pour les inspecteurs privés mais cette disposition a été écartée.

 

La mise en œuvre de l’assainissement prévu pour le secteur (autorisation préfectorale) n’intervint qu’à partir de 1987. Différentes raisons expliquent ce retard : montée des polices municipales, crainte du personnel politique face aux réactions syndicales policières, nécessité d’un accord entre partenaires sociaux pour la formation des agents. Deux armes furent utilisées par les préfets : la négociation et la menace d’interdiction d’exercer. Les préfets devaient assainir le secteur sans porter atteinte à la libre entreprise. Dans une première phase, les préfets durent agir dans l’urgence. Les RG tirèrent la sonnette d’alarme sur les possibilités de fraude des assujettis dans un rapport de 1988[6] et le dispositif fut recadré (notamment à Paris qui concentre 1/3 des entreprises du secteur).

 

Ocqueteau voit dans la LOPS peu de nouveautés au-delà du débat sur les libertés publiques lié à la vidéosurveillance. Il considère que la loi donne une nouvelle fois une assise légale à une activité qui existe depuis longtemps sur le marché. La différence est que le législateur considère maintenant que les opérateurs privés participent à la production de la sécurité collective. Le débat est maintenant de savoir si les nouvelles technologies sont en adéquation avec les objectifs sécuritaires.

 

Un mouvement européen (p.142)

 

Tous les états connaissent le même phénomène de sécurité privée que la France. Waard et Van der Hoek ont étudié les différentes réglementations des pays. Les sources sur le marché sont anciennes (étude d’un cabinet en 1988 et étude d’un criminologue belge, Dedecker, en 1991) sauf l’atlas européen de la sécurité.

Dedecker donne une analyse de trois marchés dominants d’après lui :

-         équipements de sécurité (50% CA secteur) : 37% moyens anti-intrusion, 27% surveillance électronique, 16% contrôle d’accès, 15% vidéo-surveillance et 5% autres. La RFA est loin devant dans les produits (31% contre Italie, 21%, Royaume-Uni, 18% et France, 15%)

-         gardiennage : 4486 entreprises et 243000 salariés servant 87% entreprises privées et 13% entreprises publiques

-         convoyage de fonds : 179 entreprises en Europe (Allemagne, 31%, UK, 26%, Italie, 14%, France, 8%), UK a le secteur le plus concentré (32000 agents pour 1300 véhicules. France 7000 pour 7000) et le plus gros CA (3115MF contre 1724 France et 748 Allemagne)

Le marché unique a accéléré le mouvement de concentration. L’atlas de la sécurité fait la part belle aux grandes entreprises. Elle montre néanmoins des secteurs très concentrés (convoyage de fonds, protection mécanique, incendie ou contrôle technique) et d’autres morcelés (gardiennage, vidéosurveillance, alarme). Par ailleurs, le marché commence à se mondialiser : des groupes américains ont des sociétés en Europe et les japonais sont apparus sur le marché de la vidéosurveillance.

 

Les assureurs sont liés au marché de la sécurité privée car ils font intégrer à leurs clients la nécessité de se protéger. Les assureurs ont perdu de l’argent dans la branche vol à la suite de l’explosion de délinquance de prédation dans les années 60 à 80 et ont durci leurs exigences en matière de protection situationnelle. Leur influence s’accroît dans les prises de participations financières d’entreprises de sécurité. L’Assemblée plénière des sociétés d’assurance dommage (ASPAD) s’est vu reconnaître par le biais du Centre National de Prévention et de Protection (qui siège à Vernon dans l’Eure) le pouvoir de prescrire les normes de certification des équipements de sécurité en 1984. L’Etat lui a aussi reconnu le pouvoir de prescrire les normes de qualification d’installateurs d’alarmes et de centrales de télésurveillance (marque NF-A2P).

Cette tendance de contrôle du marché par la certification est générale en Europe. La loi belge du 10 avril 1990 sur les entreprises de sécurité a ainsi entériné la présence d’un organisme assurantiel de certification au sein des commissions administrative d’agrément des équipements. Par ailleurs, les assureurs tentes d’harmoniser les normes au sein du Comité Européen des Assurances. Néanmoins, tous les organismes certificateurs n’ont pas le même statut et seuls la France, l’Allemagne et la Belgique disposent de laboratoires.

 

Le mouvement de délégation les actions de sécurisation dans la société est visible dans tous les états européens. La police publique risque de se retrouver à appliquer une politique plus répressive que préventive à l’encontre des nouvelles classes dangereuses. Les entreprises et les classes aisées assumeront par leurs comportement protecteurs la montée des fractures sociales. La difficulté principale reste la protection de la liberté du citoyen face à nouvelles techniques. Il existe un risque d’interconnexion des informations de polices maintenant supranationales avec celles du secteur privé. Le droit interdit beaucoup dans le domaine des nouvelles technologies de la sécurité (interdiction de fichiers sur les opinions des salariés dans l’entreprise, interdiction de surveillance des locaux privatifs).

 

Le problème est que ces dispositions reposent sur une lecture de l’espace public, l’espace organisationel ou l’espace privé. On peut se demander la portée de ces règles lorsqu’apparaissent des villes entièrement privées où les individus sont surveillés en permanence. Reiss a montré que nos sociétés sortent du paradigme de la répartition des territoires. Il n’y a plus d’espace privé ou public quand une population admet le principe d’une autosurveillance à l’intérieur de son espace domestique même. La législation ne donne pour l’instance que des armes ex-post pour vérifier que les moyens n’ont pas été détournés ou transformés. Il faudrait au moins retourner la charge de la preuve pour que les opérateurs privés ou publics expliquent pourquoi tel ou tel individu est considéré comme suspect.

 

Références bibliographiques (p. 159)

Beaucoup de références bibliographiques.

 



[1] Préfecture de police de Paris, 1990

[2] réglementations : décret 58-1252 du 18 décembre 1958 relatif à l’application de la loi du 21 juin 1936 sur la semaine de quarante heures dans les entreprises privées de surveillance et de gardiennage, JO, 19/12/58 p.11442, puis accord national professionnel du 23 juillet 1982 puis décret 87-897 du 30 octobre 1987 relatif à l’application du cycle dans les entreprises privées de gardiennage, de surveillance et de sécurité, JO, 6/11/87.

[3] Convention collective nationale propre aux entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985

[4] accord de 1989

[5] avenants à la convention collective de 1985 signés le 23 avril 1991

[6] le rapport relevait 213 sociétés douteuses ayant trempé dans des conflits du travail ou ayant exercé une police sur la voie publique et 105 entreprises peu fiables économiquement. Il y avait 13 entreprises proches du FN